Société Ivoirienne de Médecine Légale et
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Pr Etté Hélène (légiste) : Mes premières larmes devant un cadavre exhumé à disséquer

C’est une brave femme. Unique femme agrégée en médecine légale en Côte d’Ivoire, le Pr Etté Héléne Yapo alias « Oratio » ou « David Caruso » passe sa journée entre l’UFR des Sciences Médicales où elle dispense son savoir et l’Institut Médico Légal où elle y opère des autopsies. « C’est une vocation pour moi » dit-elle, pour expliquer son choix professionnel. Choisir de travailler sur des cadavres n’est pas donné à tout le monde. Elle l’a fait. Par amour pour l’homme. Par amour pour l’être humain. Pour soulager des familles qui veulent en savoir davantage sur les circonstances de décès de leurs proches. Elle se dit même prête à encadrer ses trois gosses si ceux-ci souhaitaient dans l’avenir embrasser cette carrière. Placesante.com l’a rencontré. Un important travail est en train d’être fait au niveau de cette science pour non seulement la démystifier mais aussi et surtout encourager les jeunes étudiants à s’orienter vers cette discipline de médecins …des morts. Déjà, Pr Etté a réussi à obtenir un financement de 400 millions de l’Allemagne qui a réhabilité et entièrement équipé l’Institut Médico Légal. Entretien… Question : Pourquoi avoir choisi, après des années d’études à l’université, de travailler plutôt sur des morts que de sauver des personnes vivantes? Pr Hélène Etté : je tiens avant tout à vous féliciter pour avoir eu l’idée de créer ce site. Il était temps que la santé et le bien être dispose d’un outil fiable d’information comme le votre. C’est un beau site dans la forme comme dans le fond et vous pouvez compter sur les médecins légistes pour le visiter et le faire connaitre. Nous invitons d’ailleurs nos étudiants à le visiter, à y faire leurs recherches. Pour répondre à votre question, je dirai que je n’ai pas choisi d’emblée de travailler sur des morts, mais d’exercer la Médecine Légale, une discipline complexe qui ne se limite pas à la recherche des causes et circonstances de survenue de la mort d’un individu mais se consacre également à la prise en charge médicale et juridique des personnes vivantes victimes de violences de toutes sortes (physique, sexuelles, psychique). Question : Passer toute sa vie à côtoyer des morts, j’avoue que ce n’est pas du tout facile d’exercer le métier de médecine légale, n’est-ce pas Professeur ? Pr Hélène Etté : non, je ne passe pas toute ma vie à côtoyer des morts. Examiner ou autopsier un mort n’est qu’une partie de mon activité professionnelle. Dans ma vie professionnelle comme dans ma vie familiale et sociale, je côtoie des hommes, des femmes et des enfants bien vivants : il s’agit des patients que je reçois durant les consultations de médecine légale clinique, de mes collaborateurs, de mon époux, de mes enfants, de ma mère, de mes frères et sœurs, de ma grande famille et de mes ami(e)s. Question : Votre père est connu comme l’un des premiers médecins légistes en Côte d’Ivoire. Avez-vous été influencée par ses activités ou vous y êtes arrivée par amour ? Pr Hélène Etté : en fait, il s’agit de mon beau-père, le Professeur Marcel Etté, le premier médecin légiste ivoirien. Au départ, quand j’étais étudiante en médecine, j’avais certainement été influencée sans m’en rendre compte par les cours théoriques de Médecine Légale que dispensait le Pr Etté Marcel. Je ne me représentais pas encore l’activité pratique que représentait l’autopsie. J’admirais chez mon beau-père le talent, la simplicité et l’amour avec lesquels il dispensait son savoir. J’en profite pour dire que c’est un homme exceptionnel par ses grandes qualités humaines. Pour répondre à votre question, je dirai qu’au terme de mes études médicales, je me suis spécialisée en Médecine du Travail, tout en étudiant la Médecine Légale, en parallèle. Aujourd’hui, je fais ma carrière en Médecine Légale avec beaucoup de passion, même si, au départ, elle ne m’a pas attirée d’emblée. Pour moi, mon travail n’est pas un métier, c’est une mission, c’est une vocation. Question : Pourriez-vous nous raconter votre premier jour sur l’examen d’un cadavre ? Pr Hélène Etté : cela se passait en novembre 1988 à Rennes (France) sur un corps qui avait été exhumé et dont l’autopsie a été réalisée de façon complète pendant 4 heures environs dans une atmosphère très désagréable pour l’odorat (je vous laisse deviner !). Je suis cependant restée stoïque et très attentive à la méthodologie de dissection tout en me disant intérieurement que je ne ferai certainement jamais cette spécialité médicale à cause de la pénibilité de la tâche et de l’atteinte à l’intégrité corporelle du cadavre. A la fin de l’autopsie, je me souviens avoir pleuré, pleuré à chaudes larmes et j’y ai pensé sans cesse pendant 3 jours au bout desquels j’ai à nouveau été appelée pour une seconde autopsie sur le corps d’une victime qui s’était précipitée du 7ème étage d’un immeuble. Ce n’était pas beau à voir mais je me suis fait violence et cette fois ci tout s’est bien passé. Question : Combien en avez-vous à ce jour autopsié ? Pr Hélène Etté : à ce jour, je pense avoir pratiqué en 22 ans, pas loin de 1200 autopsies judiciaires. Question : Quelles ont été pour la plupart les causes véritables de leur décès ? Pr Hélène Etté : Elles sont très variables : causes violentes d’origine traumatique ou toxique, causes naturelles. Dans certains cas (heureusement peu nombreux !), l’autopsie ne peut retenir une cause évidente de décès. Question : En Afrique, l’on a tendance à croire que tout ce qui rime avec mort est synonyme de mythe et de mystère, alors Professeur, seriez-vous une femme mystérieuse dotée de pouvoirs surnaturels ? Pr Hélène Etté : absolument pas ! Pourtant, je suis africaine même si je n’ai pas une culture purement africaine. Je suis catholique, croyante et pratiquante. Je n’ai pas de pouvoir, mais le privilège d’exercer un métier qui me plaît et au sein duquel je m’épanouie, entourée de ma famille, mes amis et mon équipe professionnelle. Question : Aussi, a-t-on coutume de dire que par moments des choses incroyables se passent dans le milieu des non vivants. Avez-vous une fois été témoin, dans votre carrière, d’un fait assez bizarre ? Pr Hélène Etté : c’est un fait que je ne qualifierais pas de bizarre mais qui pourrait l’être pour le profane : il s’agissait d’une personne supposée morte et qui avait été placée sur une civière à la morgue, à même le sol. Pendant que je réalisais une autopsie (sur un autre corps bien sûr !), le corps qui était sur la civière a bougé. Je me suis approchée et j’ai constaté que la personne n’était pas morte. Il s’agissait, en fait, d’un état de mort apparente qui est une situation bien connue en médecine. J’ai fait admettre cette personne en hospitalisation aux urgences du CHU. Question : Comment votre entourage perçoit-il cette profession tout de même exceptionnelle ? Pr Hélène Etté : tout d’abord mon entourage familial notamment ma mère me chahute souvent en me disant que j’ai fait de longues études de médecine pour « soigner » des morts. Les autres, tout en admirant mon courage, me lancent fréquemment cette boutade : « médecin après la mort ». Cependant, je peux vous assurer que dès que quelqu’un est malade dans la famille, c’est à moi qu’on s’adresse souvent ! Je pose le diagnostic quand je peux, je prescrits les médicaments et je fais même les piqûres quand c’est nécessaire. Comme quoi, le médecin légiste est aussi et avant tout un clinicien ! C’est également pareil au bureau quand je reçois des familles pour signer des certificats de décès. Il arrive qu’un membre de ces familles s’adresse naturellement à moi pour me demander conseil sur telle maladie ou tel symptôme qu’il éprouve et me demande de lui prescrire une ordonnance. Cela me ravie au plus haut point car, dans ces situations, je ne suis pas perçue comme un « médecin des morts » ! Question : Et vos enfants, votre mari qui savent que vous êtes permanemment sur des corps, comment vous accueillent-ils quand vous rentrez du boulot les soirs ? Pr Hélène Etté : sans aucun problème je vous assure ! Mon mari, mes enfants et même mon personnel de maison, savent que je respecte des règles d’hygiène très strictes. Quand je rentre du travail à la maison (que ce soit après une autopsie, un cours que j’ai dispensé, ou une réunion de travail) le rituel est le suivant : j’enlève mes chaussures dont les semelles sont lavées au savon et le reste nettoyé délicatement (c’est quand même du cuir !), je me lave les mains jusqu’aux coudes avec du savon de Marseille, je les sèche avec une serviette propre puis j’embrasse affectueusement les miens à pleins bras. Bien sûr je prends une douche tous les soirs avant de rentrer dans mon lit douillet ! Question : Comment expliquez-vous que la Côte d’Ivoire, cette moderne Côte d’Ivoire ne compte que six médecins légistes ? Pr Hélène Etté : C’est vrai que l’effectif de médecins légistes dont dispose la Côte d’Ivoire est faible. Ceci est lié au fait que les étudiants en Médecine percevaient cette spécialité comme « répugnante » parce qu’on la rattache seulement à la mort avec toutes les peurs qui l’entourent. Cependant, depuis que je suis responsable de l’enseignement de cette discipline à l’UFR des Sciences Médicales d’Abidjan Cocody et de Bouaké, j’ai su susciter un intérêt pour la discipline. A ce jour, j’ai une bonne équipe de 5 médecins légistes et deux autres en formation. Par conséquent, notre pays doit s’estimer heureux de disposer d’autant de médecins spécialistes en Médecine Légale car c’est le pays d’Afrique de l’Ouest qui compte le plus grand nombre de médecins légistes en exercice. Il y a des pays d’Afrique qui n’en ont pas du tout ou bien qui ont des médecins anatomopathologistes ou des chirurgiens qui exercent la médecine légale alors qu’ils ne le devraient pas. J’insiste : un anatomopathologiste ou un chirurgien n’est pas un médecin légiste de même qu’un médecin légiste n’est pas un anatomopathologiste ni un chirurgien. Question : Vous brillez tous ici au sein de l’IML, peut-on deviner que la médecine légale nourrit son homme ? Si ce n’est pas trop osé combien touche un légiste pour ce travail assez étrange ? Pr Hélène Etté : D’abord qu’entendez vous par « vous brillez » ? Moi je brille par ma bonne humeur, ma joie et mon bonheur d’exercer ce métier qui me plait réellement, parce qu’il me permet d’être au service des autres, parce que j’aime soulager et réconforter. Ce sont des sentiments qui à mon avis, sont partagés avec les membres de mon équipe. Cependant, le métier de médecin légiste est malheureusement mal connu du public, voire de nos confrères, et n’est pas rémunéré à sa juste valeur par les autorités de Justice. Pour preuve, notre activité engendre des frais de justice qui constituent nos honoraires. Or, les textes qui régissent ces honoraires datent de 1976 et indiquent que le coût d’une autopsie judiciaire est seulement de 4 500F CFA. Cette tarification est aujourd’hui tout à fait dépassée et largement en dessous de la pénibilité et de la responsabilité de la tâche du médecin légiste. De plus, ces frais de justice ne sont plus payés et nous exhortons la Justice à réinstaurer le paiement des frais de justice selon les tarifications mises en place par l’Ordre des Médecins à travers un guide de rédaction et de tarification des actes et documents médico-légaux en Côte d’Ivoire. Je ne peux donc pas vous dire combien touche un médecin légiste mais combien est payé l’enseignant-chercheur que je suis. Il est temps que les autorités comprennent que les médecins légistes assument une fonction particulièrement sensible, au service de la Justice et de la Société, et qu’à ce titre, il est légitime qu’ils perçoivent une rémunération digne de ce travail. Question : Les médecins légistes sont-ils seulement à la disposition de la Justice ou bien tout citoyen lambda peut vous saisir pour vous demander de faire des recherches sur les conditions du décès d’une personne ? En d’autres termes comment cela se passe et quel est le coût d’une autopsie ? Où va l’argent ? Pr Hélène Etté : comme je viens de vous le dire, les médecins légistes sont à la disposition de la Société et de la Justice. Pour que la Justice reconnaisse le statut de victime à une personne violentée il faut que le médecin légiste puisse apprécier, au plan clinique, l’atteinte à son intégrité corporelle physique et/ou psychique. Dans ce rôle, le médecin est auxiliaire de justice et garant du respect des droits de l’homme, donc garant de bonne gouvernance. Le citoyen ordinaire ne peut pas le saisir directement s’il y a mort d’homme ou tentative de meurtre, c'est-à-dire si l’on est dans une procédure pénale. Le plaignant ou la victime doit obligatoirement passer par le Parquet donc le Procureur de la République ou par la Police ou la Gendarmerie. Par contre, quand on est dans une procédure civile, la victime peut consulter le médecin légiste pour une évaluation de son préjudice subi avant d’aller porter plainte devant les tribunaux. Pour ce qui concerne le coût d’une autopsie médico-légale, il varie selon l’état de décomposition du corps ou non. Je vous invite à consulter le guide de tarification des certificats et documents médico-légaux qui va bientôt être mis à la disposition des médecins et des citoyens. L’argent perçu à partir des actes médico-légaux que nous effectuons sert à acheter le matériel de protection individuel nécessaire à l’autopsie (gants, blouses, tabliers et bavettes) et les consommables informatiques indispensables à la rédaction des rapports médico-légaux, à assurer l’entretien du matériel que nous utilisons, à intéresser le personnel para médical que nous avons formés, et nous même les médecins légistes qui travaillons dans des conditions sanitaires difficiles, puisque rien n’a été mis en place pour que notre discipline puisse s’exercer. Heureusement que depuis un mois, nous disposons d’un Institut de Médecine Légale équipé de matériel technique performant grâce à la Coopération allemande représentée par la GTZ. J’ai écrit le projet de réalisation de cet Institut et je l’ai soumis à la GTZ par l’intermédiaire de la coopération française et de la Police des Nations Unies. Il a été accepté puis réalisé. Un énorme merci à la Coopération allemande !